de la kafala à l'adoption, une étude sur les stratégies
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de la kafala à l'adoption, une étude sur les stratégies
https://droitscisoc.hypotheses.org/391
Analyse des trajectoires de dix candidats à l’adoption par voie de kafala, par Aurélie Fillod-Chabaud
PAR CLAIRE LEMERCIER · 20/07/2017
S’arranger avec le droit. Analyse des trajectoires de dix candidats à l’adoption par voie de kafala
Aurélie Fillod-Chabaud
En France, plusieurs travaux en droit (Brunet 2010), mais aussi en sociologie (Dupret 2012 ; Bernard-Maugiron et Dupret 2012) ont d’ores et déjà soulevé la grande opacité et diversité de traitement des institutions familiales de droit musulman par les administrations. Cette communication traite d’une de ces institutions : la kafala.
Il s’agit d’un dispositif juridique substitutif à l’adoption plénière (dispositif utilisé dans le cadre des adoptions internationales, qui rompt les liens de filiation avec la famille d’origine de l’enfant et qui permet une naturalisation de l’enfant en quelques mois, une fois qu’il est arrivé sur le territoire français). La kafala est un dispositif permettant le recueil légal d’un enfant par une famille qui s’engage à prendre en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur. Cette mesure s’adresse aux musulmans ; elle est révocable et ne crée aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant.
Dans les années 1980-90, l’inscription de la kafala dans les Codes de la famille algériens et marocains procède d’une volonté des autorités de se positionner contre l’adoption, en adéquation avec les principes de l’islam. Parmi la trentaine de pays dans le monde à l’interdire, la plupart sont musulmans et seuls l’Indonésie, la Turquie, la Somalie, le Liban et la Tunisie autorisent l’adoption plénière à ce jour.
Des travaux en anthropologie ont montré qu’en France – comme dans d’autres pays en Europe – la kafala n’est pas qu’un moyen de formaliser les transferts d’enfants au sein du cercle de la parenté (pratique coutumière du don d’enfant). Elle est également mobilisée dans une logique d’adoption par des tuteurs qui recueillent au Maghreb des enfants abandonnés. Au moment de se tourner vers une kafala, ces tuteurs ont souvent déjà entamé un processus de demande d’agrément d’adoption, l’ont parfois obtenu, voire se sont engagés dans des recherches d’enfants adoptables à l’international (Barraud 2015).
Si la kafala est reconnue comme une mesure de protection de l’enfance par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), cette même convention considère également que l’adoption plénière est la meilleure manière de garantir les droit de l’enfant car elle leur permet d’obtenir rapidement la nationalité du pays d’origine de leurs parents adoptifs.
Or, le cadre législatif français empêche la transformation de la kafala en adoption plénière, contrairement à celui de plusieurs Etats européens comme la Belgique, l’Espagne et la Suisse qui conditionne la naturalisation et l’adoption des enfants recueillis par kafala à leur entrée sur le territoire (Boursicot 2006). Une double contrainte juridique empêche les enfants recueillis par kafala d’être adoptés plénièrement : la loi du 6 février 2001, qui prohibe l’adoption d’enfant lorsque son pays d’origine l’interdit et la loi de 2003 sur la maîtrise de l’immigration, qui soumet la déclaration de nationalité française à une présence de cinq ans sur le territoire français. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ramène désormais ce délai à trois ans.
Parents et enfants font alors face à une double difficulté : d’une part la transformation de la kafala en adoption plénière est conditionnée à l’obtention de la nationalité française de l’enfant. D’autre part, les futurs parents sont soupçonnés d’avoir recours à ce que la Cour de cassation nomme une « kafala de complaisance », c’est-à-dire d’adopter un enfant par kafala dans le but, non pas de l’éduquer, mais de lui faire obtenir la nationalité française. De fait, les enfants maghrébins recueillis en France ne sont pas traités de la même manière que les autres enfants recueillis dans le cadre de l’adoption internationale.
À la lumière d’une enquête de terrain réalisée dans le cadre de mon post-doctorat 1, je montrerai, grâce aux outils proposés par la sociologie des usages du droit (Israël 2001 ; Lochak 1989 ; Buton 2006 ; Fillod-Chabaud 2016), comment les candidats à l’adoption par voie de kafala s’arrangent pour transformer une institution familiale de droit musulman en adoption plénière, alors que cette pratique est prohibée par le pays de résidence des candidats – la France – et les pays d’origine des enfants – le Maroc et l’Algérie.
Je montrerai combien chaque étape de la procédure d’adoption auprès des différentes institutions en charge de la réguler est décisive dans ce processus de légitimation. Je propose ainsi d’analyser les stratégies de saisine du droit de dix candidats à l’adoption par voie de kafala auprès des trois institutions en charge
1/ des candidats à l’adoption (protection de l’enfance),
2/ de la régularisation des mineurs étrangers (préfecture) et
3/ de l’adoption plénières des enfants (justice).
Si chaque institution n’accepte de ne prendre en charge que ce qui relève de ses attributions ordinaires, nous verrons comment les candidats s’arrangent pour rentrer dans le cadre légal de chacune d’entre elles afin de valider toutes les étapes nécessaires à transformer la kafala en adoption plénière.
Bibliographie :
Barraud, Émilie. 2015. L’adoption entre France et Maghreb. De terre et de sang. Editions Non Lieu. Paris.
Bernard-Maugiron, Nathalie, et Baudouin Dupret. 2012. Ordre public et droit musulman de la famille en Europe et en Afrique du Nord. Bruylant. Bruxelles.
Boursicot, Marie-Christine Le. 2006. « Les enfants recueillis en Kafala par des ressortissants français ». Journal du droit des jeunes 260 (10): 46‑49.
Brunet, Laurence. 2010. « La réception en droit français des institutions familiales de droit musulman: vertus et faiblesses d’un compromis ». Droit et Cultures 59: 231‑51.
Buton, François. 2006. « La justice comme véhicule. Portrait d’un justiciable ». In Sur la portée sociale du droit, par Liora Israël, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez, et Laurent Willemez.
Dupret, Baudouin. 2012. La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique. La Découverte. Paris.
Fillod-Chabaud, Aurélie. 2016. « Les usages du droit par le mouvement des pères séparés. Une comparaison France-Québec ». Genre, sexualité & société, no 15.
Israël, Liora. 2001. « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering ». Droit et société 49 (3): 793‑824.
Lochak, Danièle. 1989. Les Usages sociaux du droit. Presses Universitaires de France. Paris.
Cette enquête est réalisée dans le cadre de mon post-doctorat au sein du Labex Med (Université Aix-Marseille – Oct. 2016-Sept. 2017). Une dizaine d’entretiens avec des cadres et des adhérents de l’association APAERK (http://www.apaerk.fr/) ont été réalisés ; des appels téléphoniques ont été faits auprès de plusieurs préfectures et conseils départementaux afin d’évaluer la variations géographiques de l’encadrement des procédures de kafala. J’ai également lu plusieurs fascicules, recueils de témoignages et aides juridiques mis à disposition par les associations pour les parents voulant avoir recours à une kafala. Enfin, j’ai parcouru l’ensemble de la jurisprudence française concernant la kafala depuis la fin des années 1980. Des entretiens avec des juristes et des administrateurs en charge de la régulation de la kafala en France seront réalisés entre janvier et mars 2017.
Analyse des trajectoires de dix candidats à l’adoption par voie de kafala, par Aurélie Fillod-Chabaud
PAR CLAIRE LEMERCIER · 20/07/2017
S’arranger avec le droit. Analyse des trajectoires de dix candidats à l’adoption par voie de kafala
Aurélie Fillod-Chabaud
En France, plusieurs travaux en droit (Brunet 2010), mais aussi en sociologie (Dupret 2012 ; Bernard-Maugiron et Dupret 2012) ont d’ores et déjà soulevé la grande opacité et diversité de traitement des institutions familiales de droit musulman par les administrations. Cette communication traite d’une de ces institutions : la kafala.
Il s’agit d’un dispositif juridique substitutif à l’adoption plénière (dispositif utilisé dans le cadre des adoptions internationales, qui rompt les liens de filiation avec la famille d’origine de l’enfant et qui permet une naturalisation de l’enfant en quelques mois, une fois qu’il est arrivé sur le territoire français). La kafala est un dispositif permettant le recueil légal d’un enfant par une famille qui s’engage à prendre en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur. Cette mesure s’adresse aux musulmans ; elle est révocable et ne crée aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant.
Dans les années 1980-90, l’inscription de la kafala dans les Codes de la famille algériens et marocains procède d’une volonté des autorités de se positionner contre l’adoption, en adéquation avec les principes de l’islam. Parmi la trentaine de pays dans le monde à l’interdire, la plupart sont musulmans et seuls l’Indonésie, la Turquie, la Somalie, le Liban et la Tunisie autorisent l’adoption plénière à ce jour.
Des travaux en anthropologie ont montré qu’en France – comme dans d’autres pays en Europe – la kafala n’est pas qu’un moyen de formaliser les transferts d’enfants au sein du cercle de la parenté (pratique coutumière du don d’enfant). Elle est également mobilisée dans une logique d’adoption par des tuteurs qui recueillent au Maghreb des enfants abandonnés. Au moment de se tourner vers une kafala, ces tuteurs ont souvent déjà entamé un processus de demande d’agrément d’adoption, l’ont parfois obtenu, voire se sont engagés dans des recherches d’enfants adoptables à l’international (Barraud 2015).
Si la kafala est reconnue comme une mesure de protection de l’enfance par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), cette même convention considère également que l’adoption plénière est la meilleure manière de garantir les droit de l’enfant car elle leur permet d’obtenir rapidement la nationalité du pays d’origine de leurs parents adoptifs.
Or, le cadre législatif français empêche la transformation de la kafala en adoption plénière, contrairement à celui de plusieurs Etats européens comme la Belgique, l’Espagne et la Suisse qui conditionne la naturalisation et l’adoption des enfants recueillis par kafala à leur entrée sur le territoire (Boursicot 2006). Une double contrainte juridique empêche les enfants recueillis par kafala d’être adoptés plénièrement : la loi du 6 février 2001, qui prohibe l’adoption d’enfant lorsque son pays d’origine l’interdit et la loi de 2003 sur la maîtrise de l’immigration, qui soumet la déclaration de nationalité française à une présence de cinq ans sur le territoire français. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ramène désormais ce délai à trois ans.
Parents et enfants font alors face à une double difficulté : d’une part la transformation de la kafala en adoption plénière est conditionnée à l’obtention de la nationalité française de l’enfant. D’autre part, les futurs parents sont soupçonnés d’avoir recours à ce que la Cour de cassation nomme une « kafala de complaisance », c’est-à-dire d’adopter un enfant par kafala dans le but, non pas de l’éduquer, mais de lui faire obtenir la nationalité française. De fait, les enfants maghrébins recueillis en France ne sont pas traités de la même manière que les autres enfants recueillis dans le cadre de l’adoption internationale.
À la lumière d’une enquête de terrain réalisée dans le cadre de mon post-doctorat 1, je montrerai, grâce aux outils proposés par la sociologie des usages du droit (Israël 2001 ; Lochak 1989 ; Buton 2006 ; Fillod-Chabaud 2016), comment les candidats à l’adoption par voie de kafala s’arrangent pour transformer une institution familiale de droit musulman en adoption plénière, alors que cette pratique est prohibée par le pays de résidence des candidats – la France – et les pays d’origine des enfants – le Maroc et l’Algérie.
Je montrerai combien chaque étape de la procédure d’adoption auprès des différentes institutions en charge de la réguler est décisive dans ce processus de légitimation. Je propose ainsi d’analyser les stratégies de saisine du droit de dix candidats à l’adoption par voie de kafala auprès des trois institutions en charge
1/ des candidats à l’adoption (protection de l’enfance),
2/ de la régularisation des mineurs étrangers (préfecture) et
3/ de l’adoption plénières des enfants (justice).
Si chaque institution n’accepte de ne prendre en charge que ce qui relève de ses attributions ordinaires, nous verrons comment les candidats s’arrangent pour rentrer dans le cadre légal de chacune d’entre elles afin de valider toutes les étapes nécessaires à transformer la kafala en adoption plénière.
Bibliographie :
Barraud, Émilie. 2015. L’adoption entre France et Maghreb. De terre et de sang. Editions Non Lieu. Paris.
Bernard-Maugiron, Nathalie, et Baudouin Dupret. 2012. Ordre public et droit musulman de la famille en Europe et en Afrique du Nord. Bruylant. Bruxelles.
Boursicot, Marie-Christine Le. 2006. « Les enfants recueillis en Kafala par des ressortissants français ». Journal du droit des jeunes 260 (10): 46‑49.
Brunet, Laurence. 2010. « La réception en droit français des institutions familiales de droit musulman: vertus et faiblesses d’un compromis ». Droit et Cultures 59: 231‑51.
Buton, François. 2006. « La justice comme véhicule. Portrait d’un justiciable ». In Sur la portée sociale du droit, par Liora Israël, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez, et Laurent Willemez.
Dupret, Baudouin. 2012. La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique. La Découverte. Paris.
Fillod-Chabaud, Aurélie. 2016. « Les usages du droit par le mouvement des pères séparés. Une comparaison France-Québec ». Genre, sexualité & société, no 15.
Israël, Liora. 2001. « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering ». Droit et société 49 (3): 793‑824.
Lochak, Danièle. 1989. Les Usages sociaux du droit. Presses Universitaires de France. Paris.
Cette enquête est réalisée dans le cadre de mon post-doctorat au sein du Labex Med (Université Aix-Marseille – Oct. 2016-Sept. 2017). Une dizaine d’entretiens avec des cadres et des adhérents de l’association APAERK (http://www.apaerk.fr/) ont été réalisés ; des appels téléphoniques ont été faits auprès de plusieurs préfectures et conseils départementaux afin d’évaluer la variations géographiques de l’encadrement des procédures de kafala. J’ai également lu plusieurs fascicules, recueils de témoignages et aides juridiques mis à disposition par les associations pour les parents voulant avoir recours à une kafala. Enfin, j’ai parcouru l’ensemble de la jurisprudence française concernant la kafala depuis la fin des années 1980. Des entretiens avec des juristes et des administrateurs en charge de la régulation de la kafala en France seront réalisés entre janvier et mars 2017.
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